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International

Implanter son entreprise à l’étranger : les bonnes pratiques

Les stratégies mises en œuvre sont diverses : acquisitions d’entreprises locales, association dans le cadre d’accords de joint-venture avec un partenaire local, ou tout simplement implantation d’une entité locale.

Ce dernier mode de déploiement direct d’une activité à l’étranger présente de nombreux avantages en terme de conquête de nouveaux marchés et de développement des activités commerciales, marketing et support client d’une entreprise. il permet également de bénéficier, dans bien des situations, de dispositifs locaux d’attractivité (incitations fiscales et sociales, subventions aux investisseurs étrangers… ).

À côté des questions essentielles liées à l’appréhension des différences culturelles, à la gestion des risques pays et des spécificités réglementaires, le succès d’un projet d’implantation à l’étranger dépend à la fois de la mise en œuvre d’une démarche méthodologique solide et de la prise en compte d’un certain nombre d’enjeux juridiques, fiscaux et sociaux.

Qu’il s’agisse du déploiement des activités d’une compagnie aérienne, d’un opérateur de bornes de recharge de véhicules électriques ou d’un fond d’investissement déployant des projets d’infrastructures hors de France, les questions clés à aborder relèvent des domaines suivants :

  • quelle structure d’implantation choisir (succursale ou filiale, forme sociale, fiscalité, responsabilité…) ?
  • comment gérer les flux et les opérations intragroupe (rapatriement des fonds, conventions fiscales, prix de transfert…) ?
  • comment gérer les ressources humaines et la mobilité des salariés (immigration, droit du travail, mobilité internationale…) ?

En terme de méthode, les analyses juridiques et la proposition de structuration seront forcément précédées d’une revue de l’activité déployée localement. Cette revue doit conduire à une compréhension du modèle économique de l’entreprise et surtout de la nature des activités qui seront réellement déployées à l’étranger. D’une telle analyse découleront des informations précieuses qui permettront d’appréhender la consistance de l’implantation et les enjeux de la structuration à mettre en place.

Cette revue de l’activité implantée permet également d’optimiser la sollicitation et la coordination des conseils locaux dont l’intervention est absolument nécessaire dans ce type de projets. En effet, la mise en œuvre de projets d’implantation internationaux ne peut aboutir sans l’appui d’un réseau solide de conseils locaux (avocats, experts-comptables…) expérimentés sur les questions d’implantation de sociétés étrangères. La rédaction de la demande d’intervention qui leur sera adressée par le conseil français coordinateur sera forcément  influencée par cette compréhension du modèle économique à déployer.

Choix de la structure d’implantation : filiale ou succursale ?

Le choix de la structure d’implantation constitue l’une des premières questions abordées dans les projets d’implantation internationaux. Plusieurs options sont généralement ouvertes qui vont de la création d’une succursale à celle d’une filiale dont la forme doit être définie (société de capitaux, société de personne). D’une manière générale, le choix entre succursale et filiale repose sur les considérations suivantes :

  • autonomie patrimoniale de la structure d’implantation : alors que la filiale est dotée d’une personnalité juridique distincte de celle de ses associés et dispose d’un patrimoine propre, la succursale est dépourvue de personnalité juridique distincte et de toute autonomie patrimoniale (elle dispose néanmoins d’une reconnaissance fiscale) ;
  • contraintes réglementaires locales : au-delà de la réglementation locale dite de « contrôle des changes », certains États ne facilitent pas l’exercice de certaines activités via une succursale, notamment en rendant difficile l’obtention de certaines autorisations, lesquels sont accordées plus aisément à une filiale ; à titre d’exemple, la création d’une succursale reste complexe au Brésil et nécessite une autorisation spécifique du ministère du développement, de l’industrie et des affaires étrangères ; certains pays peuvent même limiter l’implantation via une succursale, par exemple en imposant une durée de vie limitée pour les succursales (Côte d’ivoire) ;
  • coûts de constitution : alors que les succursales doivent simplement être enregistrées et disposer de moyens de fonctionnement, le coût de constitution d’une filiale peut être relativement neutre dans certains pays ou très significatif dans d’autres (droits d’apport notamment) ;
  • responsabilité pénale de la société mère française : en l’absence de personnalité juridique distincte, la succursale engage la responsabilité de la société alors que, sous réserve du choix de la forme sociale, la responsabilité de la société mère n’est engagée qu’à hauteur de ses apports dans une filiale ;
  • responsabilité pénale des dirigeants : certains pays développent des pratiques juridictionnelles sources d’insécurité juridique lorsqu’elle tendent à confondre les critères de mise en cause de la responsabilité de la personne morale et ceux de mise en cause de la responsabilité du dirigeant ; par ailleurs, dans certaines juridictions, la notion de responsabilité pénale de la personne morale n’existe pas et seule la responsabilité pénale du dirigeant est reconnue ; ces circonstances influent également sur le choix entre succursale et filiale ; questions fiscales : elles sont nombreuses. Les premières relèvent de la stabilité de la structuration mise en place. Existe-t-il une convention fiscale entre la France et le pays concerné ? Les notions de bureau de représentation – ou de liaison – (absence de taxation locale) et d’établissement stable sont-elles claires dans le pays visé, varient-elles des standards habituels ou leurs contours sont-ils marqués par une certaine imprécision, source d’insécurité juridique ? Qu’en est-il des règles d’attribution des profits entre cet établissement stable et le siège ? La forme sociale retenue est-elle éligible à la convention fiscale ? Les secondes relèvent des pratiques de l’administration fiscale locale : Quelles sont les obligations en cas de contrôle fiscal local (examen des seuls comptes de la filiale ou examen des comptes de la succursale et du siège par les autorités fiscales locales) ?

Sans rechercher ici à être exhaustif, force est de constater que le choix éclairé de la structure d’implantation ne peut être opéré sans prise en compte des nombreuses considérations susmentionnées.

Lorsque le choix porte sur la création d’une filiale, l’analyse doit être poursuivie afin de comparer les différentes formes juridiques existantes et identifier celles qui se prêtent le mieux à l’activité déployée.

Les considérations contractuelles et fiscales prennent une importance particulière dans le cas de la structuration des opérations intragroupe.


Flux et opérations intragroupes

Les considérations contractuelles et fiscales relatives à la gestion des flux et des opérations intragroupes sont fondamentales pour parfaire la structuration d’une implantation à l’étranger. Comment appréhender les bénéfices et les pertes de l’implantation étrangère ? Comment rapatrier les fonds efficacement ? Comment définir les opérations intragroupes et les prix pratiqués entre la société mère et sa filiale étrangère ? Faut-il contractualiser ces relations ?

Appréhension des résultats et rapatriement des fonds

une organisation efficiente doit permettre une remontée la plus neutre possible des bénéfices de la structure locale à la société française.

Filiale étrangère – il est donc crucial d’anticiper les questions relatives à la méthode d’imposition des distributions et dividendes, notamment quant à l’existence de retenues à la source locales et du système de crédit d’impôt conventionnel s’il existe, aux spécificités éventuelles liées aux distributions vers des sociétés non résidentes de l’État où se situe l’entité locale.

Le rapatriement des bénéfices d’une filiale intervient par voie de distribution de dividendes. En général, une retenue à la source s’applique localement et les dividendes sont imposables chez la société bénéficiaire, nets de retenue à la source en l’absence de crédit d’impôt. En présence d’une convention fiscale, la société française peut bénéficier d’un crédit d’impôt correspondant à l’impôt versé par la filiale. Elle est donc imposée sur le dividende brut et le crédit d’impôt s’impute sur l’impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, le régime d’exonération (à hauteur de 95 % du montant du dividende) de sociétés mères et filiales s’applique aux sociétés françaises éligibles et ayant opté. L’appréhension des pertes subies par une filiale étrangère ne peut se faire directement sur le résultat imposable de la société française. En revanche, l’existence de pertes de la filiale étrangère peut être appréhendée par voie de provisions (provisions pour risques et charges, les provisions sur titres de participation n’étant pas déductibles) ou, sous certaines conditions, via le régime de déduction des aides commerciales consenties à une filiale.

Succursale étrangère (établissement stable) – L’appréhension des bénéfices est immédiate et automatique sur un plan juridique. Cependant, un impôt de distribution (« branch tax ») est susceptible d’être prélevé localement. Lorsqu’une convention fiscale autorise le prélèvement local de la branch tax, un crédit d’impôt est accordé en France. L’appréhension des pertes peut être réalisée par voie d’abandon de créance au bénéfice de la succursale étrangère et sera déductible sous réserve que la succursale entretienne avec la société mère des relations commerciales favorisant le maintien ou le développement des activités de la société en France(1). Par ailleurs, la Cour de justice de l’union européenne a jugé qu’une société établie dans un État membre qui détient un établissement stable dans un autre État membre peut déduire les pertes de cet établissement stable lorsqu’il n’existe plus aucune possibilité de prendre en compte ces pertes dans l’État d’implantation de l’établissement(2).

Prix de transfert et contractualisation des opérations intragroupes

Les opérations intragroupes doivent être définies, contractualisées et leur prix déterminé en conformité avec la réglementation du prix de transfert (définition de prix de pleine concurrence).

(1) CE, 16 mai 2003, n° 222956, Société Télécoise. (2) CjuE, 12 juin 2018, aff. C-650/16, A/S Bevola et jens W. Trock ApS c. Skatteministeriet.

Déploiement des activités à l’international

Les opérations visées sont par exemple les transactions courantes de fourniture de biens et de services au sein d’un même groupe, les fournitures de services support, les transactions financières ou les licences de droit de propriété intellectuelle ou industrielle. Dans le contexte de la justification de leurs prix de transfert, les entreprises développant des opérations internationales se doivent de présenter l’activité de leur groupe, son organisation juridique et fonctionnelle, son environnement économique ainsi que les transactions transfrontalières intragroupes, conformément aux recommandations de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert et aux exigences réglementaires et documentaires françaises et des pays d’implantation.
Les considérations contractuelles et fiscales relatives à la gestion des flux et des opérations intragroupes sont fondamentales pour parfaire la structuration d’une implantation à l’étranger

En pratique, la structuration juridique et fiscale des opérations intragroupes est très dépendante du modèle économique de l’entreprise et de la nature de l’activité implantée à l’étranger (activités de production, activités commerciales, activités de sourcing …). Notamment, la nature de l’activité implantée commandera la nature des opérations intragroupes à justifier et documenter et la nature des contrats à mettre en place La contractualisation des opérations intragroupes est nécessaire à plusieurs titres :

  • les contrats intragroupes rendent contraignante la relation intragroupe et constituent des éléments de justification et de consolidation des politiques adoptées tant pour les sociétés du groupe et pour les autorités fiscales ;
  • de nombreux pays exigent la fourniture des contrats intragroupes lors de la justification des prix de transfert ;
  • la disposition de conventions intragroupes conformes et à jour permettent d’anticiper les demandes des autorités fiscales en cas de contrôle et ainsi de mieux appréhender la relation avec l’autorité fiscale locale.

Enjeux RH

Le déploiement des équipes dans les projets d’implantation à l’international s’effectue en général en deux temps : une phase d’exploration et de démarrage pendant 28 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 182 juiN 2022 laquelle la mobilité internationale est privilégiée, et une phase plus mature de recrutements locaux.

Le fait de vérifier et d’encadrer en amont du projet l’ensemble des questions RH et sociales permet de rassurer les candidats et d’établir des budgets cohérents ainsi que de sourcer les sous-traitants (assureurs, experts-comptables, avocats, ou autres agences de relocation notamment).

Dans un premier temps, il conviendra de s’assurer des règles locales applicables lorsque la structure n’est pas encore créée :

  • quel est le visa requis (visa d’affaires ou permis de travail) ? ; est-il possible de commencer une activité professionnelle et dans quel cadre ? ;
  • quelles sont les formalités de détachement, d’enregistrement, d’assurance privée ou autres ? ; notamment, une paie locale est-elle nécessaire si le détachement dure plus de 6 mois et le portage est-il autorisé ? ;
  • quel est le calendrier et quels sont les délais de traitement ?

Certains pays imposent un quota de salariés locaux en démarrage de projet, ainsi qu’un minimum d’investissement pour être éligible à certains visas, règles qu’il convient de connaître en amont. Ensuite, les règles de droit du travail, et de management de payroll doivent être examinées, que ce soit pour les équipes expatriées ou pour les futurs recrutements locaux. il est important à ce titre de vérifier les niveaux de rémunération selon les postes et les secteurs, et de connaître les règles principales en matière de conclusion, d’exécution et de rupture du contrat et de droits collectifs, mais aussi de santé et de sécurité.

Le fait de chiffrer les coûts en prenant en compte les niveaux de cotisations sociales, et de fiscalité locale est une bonne pratique car les disparités sont très importantes selon les pays et peuvent constituer un enjeu dans le choix du pays d’implantation sur une zone donnée. il existe aussi de fortes attentes de « split payroll » lorsque le pays d’implantation ne dispose pas d’une devise forte. Contrairement aux idées reçues, le split payroll n’est pas une pratique illégale qui permet de mettre sous le tapis une partie de la rémunération, mais au contraire une pratique internationale courante, à condition que l’assiette sociale et fiscale soit la bonne, à savoir qu’elle inclut la part de salaire versée dans le pays d’origine. Les différences culturelles doivent enfin être appréhendées ainsi que la simplicité des démarches administratives.


Propos conclusifs

La décision d’implantation résulte à la fois d’une volonté d’internationalisation que d’une réflexion stratégique sur le modèle d’affaires des entreprises. Participent à cette réflexion stratégique les enjeux juridiques, fiscaux et de mobilité internationales qui permettront de confirmer les modalités d’implantation et en tout cas d’écarter des situations susceptibles de comporter des contraintes trop fortes ou des « cash trap » fiscaux et sociaux.

Ainsi, une réflexion globale et méthodologique sur l’ensemble des sujets en amont de l’implantation de son entreprise à l’étranger, alliée à une bonne connaissance du modèle économique, du secteur d’activité et des acteurs et dispositifs locaux est une des clés du succès de l’opération. Sûrement au point d’y prendre goût !

 


 

Un article de Lionel Agossou, Avocat Associé Structurations et Sandra Thiry, Avocate Associée Mobilité internationale.

Avec l’aimable autorisation de la Revue Lamy Droit des Affaires / Wolters Kluwer France.