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Droit social

Deux arrêts du 10 septembre 2025 qui rebattent les cartes : mode d’emploi pour les RH et la paie

Dans cette chronique, Cyrielle Blanchard, avocate collaboratrice au sein de l’équipe droit social de Kopper, décrypte les aspects pratiques des deux arrêts du 10 septembre 2025 par lesquels la Cour de cassation s’est mise en conformité avec le droit européen sur deux points : le sort des congés payés lorsque la maladie survient pendant une période de congés payés et la prise en compte des congés payés pour le déclenchement du seuil des heures supplémentaires.

Le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a rendu deux arrêts majeurs mettant fin aux hésitations françaises sur les congés payés.

Elle consacre désormais :

  • le droit au report des congés payés lorsqu’une maladie survient pendant les congés

(sous réserve de notification de l’arrêt maladie par le salarié à l’employeur) ;

  • la prise en compte des congés payés dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires lorsque le temps de travail est décompté à la semaine.

Ces virages alignent le droit français sur le droit européen et appellent des ajustements immédiats côté RH/paie : procédures, paramétrages SIRH, communication aux managers et sécurisation des contentieux.

Arrêt maladie pendant les congés payés : le report devient un droit (si l’arrêt maladie est notifié)

La nouvelle règle

Lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés, les jours qui coïncident avec la période d’arrêt maladie doivent être reportés et pris ultérieurement. Condition posée par la Cour : le salarié doit notifier son arrêt de travail à l’employeur (sans quoi l’employeur ne peut pas en tenir compte).

La Cour met ainsi fin à l’ancienne solution, applicable depuis 1996, qui refusait le report des congés, au motif que seule la première cause de suspension du contrat (en l’espèce, les congés payés) devait être prise en compte.

Par le passé, le salarié qui tombait malade pendant ses congés et disposait d’un arrêt de travail pouvait cumuler indemnité de congés payés et IJSS de la part de la caisse, mais sans complément employeur.

Désormais, en paie, la nouvelle jurisprudence devrait conduire à ce que le salarié perçoive :

  • soit une indemnité de congés payés ;
  • soit des IJSS après le terme du délai de carence, et le cas échéant, si les conditions sont remplies, un complément employeur, avec report des congés payés à une date ultérieure.

Pour appliquer cette nouvelle règle, quelques conseils pour les équipes RH :

  • procédure interne : prévoir un canal clair de notification de l’arrêt de travail (email RH dédié, portail SIRH) utilisable même pendant les congés, avec accusé de réception ;
  • pièces justificatives : préciser si nécessaire dans un process interne les documents et information attendus : arrêt de travail et le cas échéant dates des congés payés initialement posés ;
  • créer un calendrier de report : articuler le report des congés payés du fait de la maladie, avec les périodes de prise (période légale/conventionnelle, reports déjà prévus, fermetures d’établissement) et les nouvelles règles applicables issues de la loi du 22 avril 2024, notamment au regard de la période de report de 15 mois ;
  • informer le salarié dans le délai d’un mois après le retour d’arrêt maladie du nombre de jours de congés payés restant à prendre (règle issue de la loi du 22 avril 2024 applicable au cas de la maladie qui commence pendant une période initialement prévue de congés payés) et de la date jusqu’à laquelle ces jours de congés pourront être pris.

► Attention : le report des congés payés du fait d’une maladie survenant pendant des congés semble s’appliquer à l’ensemble des 30 jours ouvrables de congés payés par an, là où la loi du 22 avril 2024 considérait que la maladie de longue durée conduisait le salarié à acquérir des congés payés dans la limite de quatre semaines par an.

A noter que qu’aucun délai de notification par le salarié de l’arrêt de travail n’est prévu dans le code du travail ou par la jurisprudence, mais le délai usuel de 48h, fixé par le code de la sécurité sociale pour un versement des IJSS au salarié, et souvent repris dans les conventions collectives, dans le règlement intérieur (voire dans le contrat de travail du salarié), doit être respecté.

Quelques ajustements techniques côté paie et SIRH à prévoir également :

  • paramétrage d’un blocage automatique congés payés et arrêt maladie sur un même jour : il ne peut plus y avoir, sur un même jour, l’un et l’autre désormais. Soit le salarié est en congés payés et perçoit une indemnité de congés payés, soit il a transmis un arrêt maladie, et est pris en charge par la sécurité sociale au terme du délai de carence habituel de trois jours et/ou reçoit un complément employeur (parfois, en fonction des conventions collectives ou accord d’entreprise, complément employeur ou maintien de salaire dès le premier jour) ;
  • suivi strict des écritures de paie : annuler la consommation des jours de congés payés pour les jours de maladie si les jours de congés avaient été décomptés ; corriger l’éventuelle indemnité de congés payés si elle a déjà été versée (notamment en cas d’arrêt maladie qui tombe en fin de mois). Dans une entreprise, cela signifie que les équipes RH et managériales doivent communiquer immédiatement aux équipes paie les arrêts maladie reçus, si l’information se fait au manager ou aux RH.

Risques et prescription

  • contentieux : les salariés ayant quitté l’entreprise pourraient revendiquer des jours de congés payés dont ils n’auraient pas bénéficié parce qu’ils étaient en arrêt maladie, et avaient transmis ledit arrêt à leur employeur, sur les trois dernières années(prescription habituelle applicable en la matière) ;
  • preuve : la charge de la preuve de la notification pourrait devenir un enjeu important en cas de contentieux sur ce sujet ; d’où l’intérêt d’un canal de transmission clair.

Heures supplémentaires : les congés payés comptent désormais dans le seuil hebdomadaire de déclenchement

La nouvelle règle

Lorsque le temps de travail est décompté à la semaine, les jours de congés payés doivent être pris en compte (au même titre que les heures de travail effectives) pour déclencher des heures supplémentaires. Ainsi, l’employeur doit raisonner comme si le salarié avait travaillé toute la semaine (y compris ses jours de congés payés) pour apprécier le seuil de déclenchement. Il s’agit de la transposition, en droit français, de la position européenne qui proscrit tout mécanisme réduisant l’intérêt pour un salarié de poser ses congés.

Effets concrets

Fin de l’effet de “trou d’air” : un congé posé en cours de semaine n’ampute plus artificiellement le calcul des heures supplémentaires.

Rappel : la nouvelle règle ne s’applique qu’au décompte de la durée du travail à l’heure et hebdomadaire (sont exclus les salariés au forfait annuel en jours, les salariés dont la durée du travail en heures est annualisée, etc.)

Et d’un point de vue opérationnel :

  • paramétrer les journées de congés payés dans le décompte des heures supplémentaires des salariés à temps plein : attention, la règle n’est applicable qu’aux temps plein, le paramétrage doit être différent pour les temps partiels et les heures complémentaires à ce stade ;
  • comment « compter » en heures une journée de congés payés dans le décompte des heures supplémentaires ? En principe, une journée de congés payés doit être paramétrée pour sept heures. Quid si la durée du travail hebdomadaire est supérieure à 35 heures, notamment pour les forfaits hebdomadaires en heures ? ;
  • sensibiliser les managers : un salarié en congé payé le vendredi, qui fait une heure de plus le jeudi, aura droit à une heure supplémentaire majorée (payée avec majoration ou compensée en repos majoré), peu important qu’il ait ou non travaillé effectivement 35 heures sur la semaine, puisque la nouvelle règle prend en compte les heures de congés payés. Par le passé, l’heure additionnelle était payée au taux normal (ou récupérée en repos sans majoration) ;
  • risque rétroactif à ne pas négliger : si les congés payés étaient exclus de l’assiette de calcul, des régularisations pourraient être réclamées sur les trois dernières années…

Applicables immédiatement, ces décisions s’imposent aux entreprises et doivent être intégrées sans délai, y compris en paie.