Structuration
Gestion des assets deals dans un environnement international
Généralement, les acquisitions d’entreprises prennent plutôt la forme d’une acquisition d’actions (« share deal ») plutôt que celle d’une acquisition d’actifs ou d’une branche d’activité (« asset deal »). En effet, tout praticien confirmera que la mise en œuvre d’un asset deal est à la fois beaucoup plus consommatrice de temps et de ressources et également plus complexe à réaliser. À titre illustratif, dans le cadre d’un asset deal, l’acquéreur aura besoin de créer une société locale afin d’accueillir les actifs, qu’il conviendra d’identifier de façon exhaustive, et les salariés transférés.
Cependant, ce sont souvent des considérations économiques qui vont prévaloir dans le choix entre l’acquisition d’une branche activité ou l’acquisition d’actions, notamment lorsque le cédant ne souhaite se séparer que d’une partie seulement de son activité. Par ailleurs, dans certains pays comme les États-unis ou le Canada, la pratique des asset deal est très répandu. Dans un contexte international, un asset deal présente un certain nombre de caractéristiques qui influent fortement sur la structuration financière, juridique, sociale et fiscale mais également sur l’organisation de la documentation contractuelle.
Asset deal ou share deal : quels enjeux ?
Vision de l’acquéreur
Sur un plan financier et fiscal, un asset deal présente l’avantage de permettre une réévaluation des actifs acquis et leur potentielle dépréciation (mais avec pour corollaire l’impact éventuel de ces amortissements sur les capacités de distribution de la société opérationnelle de reprise). L’asset deal donne également la possibilité de partir d’une « feuille blanche » quant à la gestion comptable et financière de l’exploitation, et en tout état de cause de ne pas supporter les options financières, comptables et fiscales du vendeur. Le cas échéant, les droits d’enregistrement sont en revanche plus élevés pour un asset deal que pour un share deal.
Sur un plan économique et juridique, l’asset deal offre la possibilité de sélectionner les actifs à acquérir et les risques transférés sont limités. En revanche, il n’est pas toujours possible de reprendre la raison sociale de l’entreprise cédante. La création d’une société locale (ou dans certains cas d’une succursale) afin d’assurer la reprise est nécessaire tout comme l’obtention d’autorisations des autorités gouvernementales locales. En cas de share deal, l’acquéreur aura l’avantage de pouvoir appréhender les déficits fiscaux de la cible (à défaut de dispositions locales prévoyant la perte des reports déficitaires en cas de changement d’actionnaire), de reprendre une activité complète et non seulement certains actifs individuels, avec le risque inhérent de ne pas tous les identifier. Le prix d’acquisition à financer sera également réduit dès lors que les dettes sociales seront automatiquement transférées
Vision du cédant
S’agissant du processus de cession, la phase d’audit est mieux contrôlée et plus limitée (limitation du champ des audits financiers, juridiques et fiscaux, meilleure maîtrise de la divulgation des données et informations sensibles de l’entreprise). Sur un plan financier, un asset deal permet de « désigner » finement une opération de désinvestissement dès lors que seule la cession d’une partie de l’entreprise est souhaitée, ceci dans un contexte de réorganisation stratégique ou de « distressed M&A » (actifs localisés dans des sociétés en difficulté). Ainsi, le prix de vente peut être maximisé (également du fait de la conservation des dettes sociales). Au plan fiscal, lorsque la société cédante est déficitaire, la plus-value de cession pourra être compensée avec d’éventuelles pertes fiscales et reports déficitaires. En revanche, en l’absence de reports déficitaires, une opération d’asset deal entraîne une fiscalité généralement plus importante pour le vendeur en matière de plus-value. À celle-ci s’ajoute la fiscalité de l’actionnaire en cas de rapatriement du prix par voie de dividende.
Les sujets de fiscalité influencent fortement l’opération de transfert de propriété dans le cadre d’un asset deal à plusieurs niveaux
Comme constitutive d’une option plus intéressante pour le cédant. L’intégralité de l’activité est cédée et tous les risques sont transférés à l’acquéreur à la date de réalisation de la cession (même si une garantie d’actif et passif sera demandée par l’acquéreur au titre de la période précédant la date de réalisation de la cession). En tout état de cause, le vendeur n’aura pas à liquider la société. De plus, le vendeur aura également la possibilité de défiscaliser la plus-value de cession et d’optimiser le rapatriement du prix de cession. Les enjeux liés à la structuration de l’opération d’acquisition, soit sous la forme d’un asset deal, soit sous celle d’un share deal, sont nombreux et certaines options effectivement plus favorables à l’une ou l’autre des parties, sous réserve des considérations économiques.
Spécificités d’un asset deal dans un environnement international
Un asset deal, dans un contexte international, présente des caractéristiques qu’il convient de bien appréhender tant elles marquent la structuration financière, juridique, sociale et fiscale de ce type d’opération tout comme leur mise en œuvre documentaire :
- une opération multi-pays : les actifs cédés et les personnels transférés sont localisés dans différents pays ;
- multiplicité des parties : les cédants et les acquéreurs sont par hypothèse multiples ;
- complexité de la transaction qui peut comprendre à la fois des asset deals sous la forme de transfert d’une branche d’activité ou d’un fonds de commerce (« transfer of going concern »), des cessions d’actifs isolés (notamment en l’absence de reprise des salariés attachés à une activité reprise) et des share deals ;
- pluralité et inadaptation éventuelle des environnements juridiques, sociaux et fiscaux des pays concernés ;
- désorganisation des opérations intragroupes du groupe vendeur ;
- intégration internationale des activités acquises au sein du groupe acquéreur (adaptation de la supply chain, gestion des prix de transfert, questions relatives à la TVA et à la douane).
Gestion d’un asset deal international
Définition et audit du périmètre d’acquisition
Dans le cadre d’un asset deal, l’acquéreur et le vendeur doivent se mettre d’accord sur le périmètre de la transaction, à savoir une liste détaillée de tous les actifs (droits de propriété intellectuelle, contrats, actifs immobilisés, stock, créances) et du personnel. Le périmètre est défini dans un document partagé entre les parties (« Asset Deal Statement ») qui pourra faire l’objet d’une mise à jour au fur et à mesure de l’évolution des négociations. En pratique, l’Asset Deal Statement constitue une bonne base pour conduire l’audit d’acquisition et s’assurer de l’adéquation des travaux d’audit financier, juridique, fiscal et social et du périmètre d’acquisition. L’audit d’acquisition devra également couvrir certains des passifs provisionnés transmis avec l’activité (engagements de retraites, par exemple).
Les travaux d’audit juridique, fiscal et social porteront principalement sur les aspects suivants :
- propriété des actifs repris ;
- libre transférabilité des actifs repris (existence de droits ou obligations ou autres empêchements quelconques, en restreignant la libre transmissibilité, notamment au titre de toutes hypothèques, gages, nantissements, cautionnements, réserves de propriété, réclamations et litiges en cours…) ;
- contrats et accords avec des tiers, notamment l’identification des conditions de transfert des contrats, des risques de rupture et des surcoûts éventuels de renégociation (contrats clients, contrats fournisseurs, locations d’immeuble, contrats de licence, contrats de franchise) ;
- biens immobiliers (titres de propriété, contrats de bail, droits d’occupation accordés, autorisations, sûretés, charges affectant le bien, réclamations et litiges…) ;
- environnement (les obligations environnementales suivent en général l’acquéreur) ;
- personnel repris (compréhension de la population reprise, nature des contrats, des rémunérations et avantages, des accords collectifs, représentation syndicale …) ;
- fiscalité : existence de règles de non-opposabilité de la cession aux autorités fiscales ou sociales et solidarité de l’acquéreur et du cédant pour les dettes fiscales ou sociales à hauteur du prix d’acquisition (nécessité d’obtenir un certificat confirmant que le cédant n’a pas de dettes ouvertes ; séquestre du prix).
En matière d’asset deal, les travaux d’audit sont certes plus limités mais tout à fait nécessaires et parfois spécifiques.
« Purchase price allocation »
Les sujets de fiscalité influencent fortement l’opération de transfert de propriété dans le cadre d’un asset deal à plusieurs niveaux (impôt sur les sociétés, application ou non de droits d’enregistrement, neutralité de la TVA/GST (« goods and services tax »)…). un aspect particulier relève de la combinaison des règles comptables et fiscales au regard de la valorisation des actifs rachetés. Si l’acquisition porte sur une activité, la norme iFRS 3 oblige les acquéreurs à allouer le prix d’acquisition à la juste valeur des actifs et passifs de la cible (« Purchase Price Allocation », ci-après « PPA »). « L’écart résiduel entre le prix payé et la juste valeur des actifs et passifs constitue le goodwill »(1)
Cette pratique qui découle des normes comptables applicables aux sociétés cotées trouve un terrain d’application général dans les opérations d’asset deal à plusieurs titres :
- nécessité d’évaluer correctement les actifs et les passifs acquis et de transcrire cette évaluation dans les actes d’acquisition ;
- optimiser la gestion comptable et fiscale des amortissements des actifs acquis, notamment les actifs incorporels ;
- anticiper les capacités de distribution de la société de reprise.
S’agissant de l’optimisation de la gestion comptable et fiscale des amortissements des actifs incorporels, la réalisation d’un PPA aura pour objectif d’identifier les différentes catégories d’actifs, de justifier le prix d’acquisition de chaque actif et son affectation par pays.
Déploiement des activités à l’international
La quote-part du prix d’acquisition allouée à des actifs amortissables, notamment des actifs incorporels dont l’amortissement est autorisé dans certains pays, bénéficiera de facto d’une déduction fiscale. La conséquence des amortissements est de réduire le résultat comptable de la société de reprise, donc de limiter sa capacité de distribution future de dividendes. Cet impact doit être anticipé afin de calibrer au mieux le service de la dette d’acquisition.
Implantation de la holding de reprise et service de la dette
Du fait de la dispersion des actifs acquis entre plusieurs pays, l’acquéreur aura la nécessité d’organiser la ou les structures de reprise et le financement afin d’éviter les frottements fiscaux sur les flux d’intérêts d’emprunt et le service de la dette (distributions). Traditionnellement, le financement d’un asset deal comprend (i) le financement bancaire porté par la société de reprise et éventuellement (ii) une dette intragroupe correspondant au financement apporté par une société holding du groupe de reprise.
Déductibilité des intérêts – S’agissant du financement groupe, celui-ci pourra être localisé dans une société holding française, laquelle procèdera à la capitalisation de la société locale de reprise afin de se conformer aux règles fiscales locales de sous-capitalisation (« thin capitalization rules »). Cette pratique de capitalisation de la société locale de reprise pourra également être nécessaire en cas d’emprunt bancaire, dès lors qu’une garantie du groupe sera exigée par les prêteurs.
Distributions – Concernant le service de la dette, les questions suivantes doivent être traitées : les dividendes encaissés par la holding de reprise sont-ils exonérés d’impôt sur les sociétés ? Quel est le régime d’imposition des remontées de dividendes entre la société de reprise et la holding ? Existe-t-il une retenue à la source lors du reversement des dividendes par la holding de reprise (intermédiaire) à la société bénéficiaire française ? Existe-t-il un régime de consolidation fiscale des résultats de la société de reprise et de la holding (étant entendu que l’essentiel de la dette est positionné dans la filiale de reprise « en face » des actifs acquis) ?
Ainsi, la question du choix d’implantation de la société holding de reprise n’est pas spécifique au rachat d’actifs dans le contexte international mais nécessite d’être anticipée avec attention, notamment en procédant à une analyse du système fiscal local et des conventions fiscales applicables. Bien sûr, les considérations juridiques doivent également être prises en compte : délai de création de la société, un niveau de sécurité juridique suffisant, existence de réglementations contraignantes en matière de relations financières, souplesse du droit des sociétés, réputation du pays.
Transfert des salariés
Le transfert des salariés dans le cadre d’un asset deal constitue un sujet plus ou moins délicat selon qu’un régime de transfert automatique des salariés existe ou non dans le pays de reprise.
Transfert automatique des salariés – Au sein de l’union européenne, la directive n° 2001/23/CE régit les conséquences sociales d’une telle opération avec pour principal objectif de protéger certains droits des travailleurs dans le cadre de certaines transactions commerciales en imposant un certain nombre d’obligations aux employeurs. Elle vise les opération d’asset deal dès lors qu’une branche d’activité (entité économique) est cédée En conséquence du transfert automatique :
- les employés affectés à l’entreprise sont transférés automatiquement et de plein droit au repreneur en même temps que le transfert de l’entreprise et conserveront leurs conditions de travail. Le cessionnaire ou repreneur devient automatiquement le nouvel employeur sans formalités particulières ou accord des salariés. Le refus d’un salarié de voir son contrat de travail transféré est régi par la législation des États membres. En tout état de cause, aucune disposition contractuelle ne peut faire échec à l’application de la directive, ces dispositions étant d’ordre public ;
- les représentants du personnel doivent être consultés avant le transfert des salariés (en temps utile) sur les conditions de l’opération (date fixée ou proposée pour le transfert, motif du transfert, conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert pour les salariés, mesures envisagées à l’égard des salariés) ; cette obligation repose sur l’ancien et le nouvel employeur
En présence d’un régime de transfert automatique, le transfert des salariés est très encadré. Cette situation permet d’opérer un asset deal dans un environnement balisé et protecteur pour l’acquéreur, le cédant et les salariés. Toutefois, certaines situations à risque peuvent intervenir en cas de rachat d’actifs importants (susceptibles d’être déménagés) sans reprise effective d’une activité dans un pays. une analyse des pratiques locales, notamment quant à la définition de l’activité économique, est nécessaire, tant pour le vendeur que pour l’acquéreur. En cas de risque, celui-ci devra être traité dans la documentation contractuelle d’acquisition.
Absence de transfert automatique des salariés – Cette situation est courante. Dans la mesure où l’acquéreur souhaitera reprendre tout ou partie des salariés, un nouveau contrat de travail devra être conclu avec chacun d’entre eux.
Propos conclusifs
Le lecteur aura compris toute la complexité d’une opération d’asset deal et la densité des travaux à engager pour sa parfaite réalisation. L’organisation de la documentation contractuelle et son contenu reflètent également cette complexité : rédaction d’un contrat d’achat de branche d’activité (« Asset Purchase Agreement ») global et local, nécessitant l’identification précise du périmètre de cession et les déclarations et garanties adéquates, d’un « Transition Services Agreement » afin de gérer les sujets de transmission de compétences entre le cédant et l’acquéreur (services support, système d’information…), d’un « Service Agreement » lorsque la cession de la branche d’activité s’accompagne d’une fourniture de services de l’acquéreur au cédant.
Enfin, une fois l’asset deal réalisé, la phase d’intégration démarre avec son lot d’enjeux opérationnels, comptables et juridiques. Ainsi, les questions soulevées sont très diverses et le succès de ce type d’opération nécessite une collaboration étroite entre une équipe projet composée des dirigeants du groupe (finance, juridique, fiscalité, opérations) et d’une équipe de conseils expérimentés évoluant elle même dans un environnement international.
Un article de Lionel Agossou, Avocat Associé Structuration et Thomas Fernandez Boni, Avocat Associé Droit Social.
Avec l’aimable autorisation de la Revue Lamy Droit des Affaires / Wolters Kluwer France.